Écrire… Publier… Réflexions sur les témoignages de 1914-1918 (par Rémy Cazals) (suite)

Découvrez les nouvelles contributions de Rémy Cazals dans le cadre de ses réflexions sur le témoignage sur le site Studium (site rattaché à l’université Toulouse Jean-Jaurès et au CNRS) : ci-dessous le sommaire de la suite de la deuxième partie, dont le texte est accessible ici.

II. Les correspondances

5. Quelques cas particuliers de fonds et de types de lettres

6. L’autocensure pour rassurer

7. L’autocensure pour éviter la censure

8. Comment contourner la censure ?

Écrire… Publier… Réflexions sur les témoignages de 1914-1918 (par Rémy Cazals) (suite)

Découvrez les nouvelles contributions de Rémy Cazals dans le cadre de ses réflexions sur le témoignage sur le site Studium (site rattaché à l’université Toulouse Jean-Jaurès et au CNRS) : ci-dessous le sommaire de la deuxième partie, dont le texte est accessible ici.

II. Les correspondances

1. Quelques évidences

2. Une écriture différente selon les correspondants

3. Dire l’intime

4. Les langues régionales

Écrire… Publier… Réflexions sur les témoignages de 1914-1918 (par Rémy Cazals)

Découvrez les nouvelles contributions de Rémy Cazals dans le cadre de ses réflexions sur le témoignage sur le site Studium (site rattaché à l’université Toulouse Jean-Jaurès et au CNRS) : ci-dessous le sommaire de la première partie, accessible ici.

I. Définitions et remarques préalables

1. Le témoin oculaire

2. Le témoin doit avoir laissé une trace

3. Subjectivité et sincérité

4. La mission de témoigner ?

5. Retour sur Jean Norton Cru

6. De faux témoins livrent de vrais témoignages

7. Faire de la littérature

8. « Faire de la littérature »

9. Sur quelles bases quantitatives reposent ces réflexions ?

La playlist Metal du Crid 14-18 (#1) (par François Bouloc)

Cette nouvelle rubrique du site Crid 14-18 vous propose de découvrir à chaque fois un morceau de musique metal traitant de la Première Guerre mondiale. Assez peu reconnue et diffusée en France, la musique metal est apparue il y a environ une cinquantaine d’années, elle est basée sur un son de guitare lourd et nanti d’une très forte distorsion, d’une batterie puissante et souvent rapide et de vocaux aigus ou gutturaux (pour faire bref). Ses thématiques de prédilection gravitent notamment autour de la mort, la destruction, la souffrance, l’horreur ou la guerre, et l’histoire est souvent convoquée à travers des personnages ou des périodes liées à ces dernières. Par suite, la première Guerre mondiale est abordée par de très nombreuses formations du genre, et en tant qu’historien de ce conflit et amateur de longue date de cette scène musicale, je me propose ici d’expliciter un morceau particulier dans chaque nouvelle chronique.

Vous pouvez voir la vidéo du morceau en cliquant sur son titre ci-dessous.

#1 — 1914, « … And a Cross Now Marks His Place » (2021)

Le groupe 1914 constitue un choix incontournable pour démarrer cette série de textes. La formation, d’origine ukrainienne, existe depuis 2014 et, comme son nom le laisse deviner, se consacre exclusivement à la Première Guerre mondiale dans ses chansons. Son dernier album en date, The Blind Leading The Blind, est sorti à 11h le 11 novembre 2018… La ville d’origine du groupe, Lviv, qui s’est aussi appelée Lvov ou Lemberg au gré de l’histoire européenne, symbolise de fait à elle seule l’intérêt et l’attachement des membres du groupe à l’histoire en général, et au premier conflit mondial en particulier. Nous aurons l’occasion d’évoquer d’autres morceaux de ce groupe au fil de ces chroniques, mais j’ai ici choisi leur dernier single en date, publié en août 2021 pour plusieurs raisons : le morceau en lui-même est d’excellente facture, et dans l’idée de créer un pont entre histoire et musique, le choix du texte est tout à fait approprié, puisque les paroles du morceau sont la reprise d’une véritable lettre de condoléances envoyée par l’officier d’une compagnie britannique à la mère d’un soldat mort au combat.

Le texte et sa mise en musique fournissent une riche matière pour l’explicitation de l’expérience combattante dans les tranchées, bien illustrée par les images d’archives proposées. Une simple recherche nominative concernant le soldat tué permet de retrouver une page sur greatwarforum.org où une descendante dudit Arthur George Harrison donne tous les éléments retranscrits à la fin de la vidéo, et précise qu’il a été tué le 20 mai 1918 à Ploegsterr en Belgique, dans le cadre de la dernière offensive du printemps 1918. Comme le fait remarquer un autre contributeur du même forum, la date ne correspond pas à un engagement majeur du régiment selon son journal de marche, aussi tout laisse penser que Harrison a pu être victime d’un tir d’artillerie isolé, son poste de mitrailleuse ayant été repéré par l’ennemi. La lettre de condoléances peut donc « enjoliver » le contexte de la mort du soldat en la faisant résulter d’une attaque décisive alors qu’il ne s’agissait certainement que d’une action très locale, un « coup de main » selon les termes de l’époque. Quoi qu’il en soit, le processus décrit dans le texte est très intéressant en ce qu’il retrace bien le flux et le reflux structurant la guerre de positions :

– attaque (ici des Britanniques) contre des positions ennemies (allemandes) : « the company was taking part in an attack and your son’s gun team was one of them which advanced against the enemy » / la compagnie prenait part à une attaque and le groupe de mitrailleurs de votre fils faisaient partie de ceux qui progressaient contre l’ennemi

– gain de nouvelles positions, souvent évacuées préalablement d’ailleurs par les troupes ennemies : « the attack was successful and all guns reached and established new positions » / l’attaque réussit et tous les groupes atteignirent et établirent de nouvelles positions

– contre-attaque quelques heures (plus tard) déclenchée comme il est décrit ici par un tir ciblé d’artillerie. C’est très judicieusement le point de basculement dramatique de la chanson, les mots « later in the night, the enemy shelled our position » / plus tard dans la nuit l’ennemi bombarda nos positions s’accompagnant d’une accélération du tempo et d’une utilisation très figurative de la double grosse caisse pour rendre l’intensité du bombardement.

Nous avons donc ici une description en peu de mots du fonctionnement de la guerre de positions, soit la convergence de la violence extrême atteinte grâce à l’utilisation des armes de l’âge industriel et la stagnation stratégique (personne n’ayant  réellement avancé au terme du cycle flux-reflux que l’on vient d’évoquer).

La violence de guerre est aussi crûment mise en lumière avec là encore une grande économie de mots : Harrison est tué par un obus qui tombe là où il se trouve, blessant aussi le camarade à ses côtés (« and one shell fell on your son’s gun, killing him and wounding a comrade »). La phrase suivante dit l’intensité de la destruction des corps sur les champs de batailles de la Grande Guerre : « It was impossible to get his remains away » / il n’a pas été possible de ramener ses restes, euphémisme pour dissimuler un peu le fait que le corps a été intégralement broyé par l’explosion, et qui explique que seul l’emplacement de son décès a été marqué : et une croix indique sa place, comme le dit le titre du morceau.

Enfin, les mots que l’officier formule à la fin de sa lettre ouvrent le champ du deuil familial, nouvelle phase de la vie de ses proches que le registre patriotique incontournable en la circonstance peine forcément à compenser : « votre fils a toujours fait son devoir, il a même donné sa vie pour la patrie, Nous honorons tous sa mémoire, et j’ai l’espoir que vous trouverez un peu de consolation en gardant ceci en mémoire ». De fait, si la mort du private Harrison fut « instantanée et sans souffrance », il n’en sera pas de même de l’ombre portée de son absence, et les expressions de visage de l’officier fictionnel qui écrit la lettre dans la vidéo montrent qu’il en a d’ailleurs pleinement conscience. Les derniers mots, froidement ironiques, détournent le texte original de la lettre, qui est signée non de l’officier, mais de la guerre elle-même (« In true sympathy, yours faithfully, War », soit : En toute sympathie, fidèlement votre, la Guerre…).

Écrire… Publier… Réflexions sur les témoignages de 1914-1918 (par Rémy Cazals, partie II)

Le site Studium (*) accueille un ensemble de réflexions sur le témoignage par Rémy Cazals, que vous pourrez suivre sous forme de feuilleton au fur et à mesure des publications successives, qui seront relayées sur le site du Crid mais aussi sur sa toute neuve page Facebook.

(*) STUDIUM est un atelier de recherche universitaire créé en 2014, dédié à l’histoire de l’éducation, de la culture et aux sciences studies, en forte interaction avec les autres disciplines. Il est rattaché à l la thématique IV – Corpus du laboratoire Framespa (UMR 5136) de l’Université Toulouse Jean Jaurès/CNRS et à l’INU Champollion (Groupe de recherche TCF). Co-animation : Caroline Barrera (INU Champollion), Jacques Cantier (UT2J), Véronique Castagnet-Lars (INSPé Toulouse Occitanie-Midi-Pyrénées).

(Cliquer sur le titre de l’encadré ci-dessous pour accéder au texte)

Écrire… Publier… Réflexions sur les témoignages de 1914-1918

Le site Studium (*) accueille un ensemble de réflexions sur le témoignage par Rémy Cazals, que vous pourrez suivre sous forme de feuilleton au fur et à mesure des publications successives, qui seront relayées sur le site du Crid mais aussi sur sa toute neuve page Facebook.

(*) STUDIUM est un atelier de recherche universitaire créé en 2014, dédié à l’histoire de l’éducation, de la culture et aux sciences studies, en forte interaction avec les autres disciplines. Il est rattaché à l la thématique IV – Corpus du laboratoire Framespa (UMR 5136) de l’Université Toulouse Jean Jaurès/CNRS et à l’INU Champollion (Groupe de recherche TCF). Co-animation : Caroline Barrera (INU Champollion), Jacques Cantier (UT2J), Véronique Castagnet-Lars (INSPé Toulouse Occitanie-Midi-Pyrénées).

Trois Nordistes sur le front d’Orient (1915-1916)

Le livre : Agnès GUILLAUME, Thierry HARDIER, Jean-François JAGIELSKI, Raymond VERHAEGHE (éd.), Trois Nordistes sur le front d’Orient (1915-1916), FSE Collège Eluard de Noyon, Edhisto, Crid 14-18, 2021.

Livre de 140 pages comprenant 40 illustrations et 3 cartes.

Prix public : 14 € (vendu au profit du FSE collège Eluard Noyon) (Bon de commande en fin d’article)

Les trois témoignages présentés dans cet ouvrage proviennent de combattants du 284e régiment d’infanterie d’Avesnes-sur-Helpe (Nord) qui se sont retrouvés sur le front oriental, ce « front oublié » de l’historiographie du premier conflit mondial qui les a emmenés jusqu’aux confins de la Macédoine et de la Bulgarie. Nous présentons ici un carnet de route exhumé au hasard d’une trouvaille de grenier et deux correspondances provenant de trois militaires tous issus de classes sociales différentes. Ce choix n’a rien d’un hasard. L’approche sociologique de l’expérience combattante est et demeure un chantier de recherche ouvert qui montre combien l’expérience de la Grande Guerre fut à la fois et la même et tout autre, selon l’appartenance sociale des acteurs.

Le contexte

            En octobre 1915, l’armée serbe doit faire face à une double offensive, celle des Austro-Hongrois et des Allemands au nord et celle des Bulgares à l’est. En très peu de temps, la situation de cette armée affaiblie et sous-équipée devient critique. Les Français, traditionnels alliés des Serbes, se voient donc contraints de leur venir en aide.

            En provenance de Toulon, Maurice Lemoine, Octave Déplanque et Marcel Chappey appartenant au 284e R.I. de la 122e division d’infanterie, découvrent le port de Salonique (aujourd’hui Thessalonique) le 2 novembre 1915. Or, avant leur arrivée, les Français, sous la direction du général Sarrail dirigeant l’Armée d’Orient, ont déjà tenté de colmater les brèches provoquées dans un front où les Serbes sont aux abois sous la pression de la puissante coalition allemande, austro-hongroise et bulgare. Nos trois témoins arrivent à un moment très critique. Ce qui explique l’empressement avec lequel ils sont envoyés immédiatement dans la zone de combat, à peine quelques heures après leur débarquement.

                La campagne de Serbie, sur l’actuel territoire de la Macédoine du Nord, n’est, selon les mots de Francine Saint-Ramond Roussanne, « qu’un infructueux aller-retour jusqu’au confluent de la rivière Cerna et du fleuve Vardar. Elle s’accompagne de rudes combats en zone montagneuse, face à des Bulgares obstinés et plus habiles sur le terrain, où de nombreux soldats trouvèrent la mort.» (La campagne d’Orient 1915-1918, Dardanelles-Macédoine d’après les témoignages de combattants, Atelier national de reproduction des thèses, tome 1, année universitaire 1996-1997, p. 393) 

Les témoins

Maurice Lemoine

            Issu d’une famille de propriétaires-exploitants de l’Avesnois, Maurice Lemoine naît au hameau des Hayettes à Etroeungt  le 15 septembre 1887. Il débute son carnet de route le 23 octobre 1915, deux semaines avant d’embarquer à Toulon. D’une écriture fine et serrée et dans une langue très bien maîtrisée, il décrit son quotidien, la difficile retraite opérée par son unité puis son installation dans le camp retranché de Salonique. Certains passages sont d’un grand intérêt, notamment lorsqu’il évoque les destructions volontaires commises par les troupes françaises afin de ne rien laisser aux Bulgares. Parfois, l’auteur livre également ses propres impressions. Atteint par le paludisme, il est rapatrié en France à la fin mars 1917. Après la guerre, il deviendra représentant de commerce en vins et spiritueux.

Octave Déplanque

            Né à Eterpigny le 11 mai 1887 dans une famille très modeste, Octave Déplanque devient garçon boucher. Après son mariage avec Émilie Pamart, originaire d’Avesnelles, le couple s’installe à Guise. Leur fille unique naît en janvier 1914. Mobilisé au 284e R.I., Octave Déplanque envoie des cartes postales à son épouse et à sa belle-mère qui ont fui l’avance allemande. Nous avons ici retranscrit l’intégralité de la correspondance précieusement conservée par sa petite-fille mais qui est très probablement incomplète. Les messages délivrés sont brefs et ont surtout deux buts : donner des signes de vie et exprimer de l’affection pour les proches. La dernière carte postale connue date du 14 novembre 1915. Trois semaines plus tard, Octave Déplanque est tué au cours d’un combat contre les Bulgares alors que son unité bat en retraite. Son corps ne sera jamais retrouvé.

Marcel Chappey

            Né à Avesnes le 3 avril 1890, Marcel Chappey fait de brillantes études qui le conduisent au concours d’entrée à Normale Supérieures Lettres où il est admis en 1914. Lieutenant au 284e R.I., il entame une correspondance avec son frère aîné Joseph, également lieutenant dans une autre unité et qui lui, est Normalien ainsi qu’agrégé d’allemand. Les « lettres de guerre » de Marcel à son frère témoignent, dans une très belle langue, de l’âme d’une élite intellectuelle de l’époque, à l’instar d’un Charles Péguy ou encore d’un Ernest Psichari. Grandeur et servitude militaire sont évoquées à chaque page, dans une forme choisie, sans romantisme ni recherche, sans forfanterie et, pour tout dire, avec une naturelle et émouvante simplicité. Après 1918, Marcel Chappey entamera une remarquable carrière à la Direction de l’Union des Mines et deviendra après la Seconde Guerre mondiale maire de Garches.

Un livre et un projet pédagogique

Pas moins de 26 élèves du collège Paul Eluard de Noyon ont participé à la réalisation de cet ouvrage, en transcrivant le carnet de route de Maurice Lemoine et en recensant tous les combattants du 284e R.I. décédés entre août 1914 et février 1919. Les objectifs pédagogiques de ce projet étaient les suivants : la maîtrise de la langue française, la maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication, l’acquisition d’une culture humaniste, la réussite des élèves par le biais d’un travail interdisciplinaire et l’ouverture culturelle en faisant de l’histoire autrement.

Les directeurs de la publication

            Agnès Guillaume est professeure de français et professeure principale de la classe de troisième qui a participé au projet. Son grand-père paternel, appartenant au 235e R.I. (57e D.I.), est arrivé au même moment que nos trois témoins en Orient et a partagé les mêmes combats.

            Thierry Hardier, professeur d’histoire-géo de la même classe de troisième est également docteur en histoire ainsi que l’un des membres fondateurs du CRID 14-18 (www.crid14-18.org).

            Jean-François Jagielski est historien et également l’un des membres fondateurs du CRID 14-18.

            Raymond Verhaeghe est professeur d’histoire-géographie émérite. Il a enseigné au lycée d’Avesnes.

Le contenu de l’ouvrage

Introduction

Première partie. Le témoignage de Maurice Lemoine

Présentation du témoin : Maurice Lemoine (1887-1962)

Le carnet de route de Maurice Lemoine

Deuxième partie. Le témoignage d’Octave Déplanque

Présentation du témoin : Octave Déplanque (1887-1915)

La correspondance d’Octave Déplanque à son épouse et à sa belle-mère

Troisième partie. Le témoignage de Marcel Chappey

Présentation du témoin : Marcel Chappey (1890-1971)  

La correspondance du lieutenant Marcel Chappey à son frère Joseph

Annexe 1. Le 284e R.I. dans la Grande Guerre

Annexe 2. Informations sur les hommes décédés sous l’uniforme du 284e R.I.  

Annexe 3. Les combattants du 284e R.I. décédés entre août 1914 et février 1919

Annexe 4. Biographie succincte de Marius Labruyère (235e R.I. puis 242e R.I.)

Bibliographie 

Table des matières

Ouvrage publié avec le soutien de la section locale Noyon/Guiscard du Souvenir Français et la ville de Noyon

Bon de commande

A retourner, accompagné du règlement à l’ordre du FSE collège Eluard Noyon à l’adresse suivante :

Thierry Hardier, 23 rue Jean de Ville 60400 VILLE

Je soussigné (Nom, prénom) : …………………………………………………………………………………………………

Adresse : …………………………………………………………………………………………………………………………………

………………………………………………………………………………………………………………………………………………..

Trois Nordistes sur le front d’Orient (1915-1916) au prix unitaire de 14 € + 5 € (frais de port), soit 19 €. Frais de port : pour 2 livres : 6 € ; pour 3 livres : 7 €.

Total de la commande : ……… €

Signature :

Questions à Edward M. Strauss, traducteur de l’édition anglaise du livre de Louis Barthas, membre du CRID 14-18 (interview réalisée en juin 2021).

Le livre : Poilu. The World War I Notebooks of Corporal Louis Barthas, Barrelmaker 1914-1918, translated by Edward M. Strauss, foreword by Robert Cowley, New Haven & London, Yale University Press, 2014.

1] En traduisant le livre de Louis Barthas, vous n’avez pas répondu à une demande d’éditeur. C’est vous qui l’avez décidé. Pouvez-vous nous dire ce qui vous a motivé ?

Réponse : It’s true that I did not respond to a request initiated by a publisher. Here is what happened. One day I asked my friend and colleague Robert Cowley, editor of the successful “What If” books of counterfactuals by renowned historians, to suggest to me a book in French about the Great War of 1914-1918 that really should be translated into English, and had not yet been, which I proposed to try to do. Rob immediately suggested the “Carnets de Guerre de Louis Barthas,” which he knew in its French edition. With the agreement of the French publisher (La Découverte) and the enthusiastic support of anglophone historians in the UK, US, and elsewhere (notably Prof. Jay Winter of Cambridge and Yale), Yale University Press agreed to publish my English-language annotated version, which was published in March 2014 and in paperback a year later.

2] Est-ce que la traduction vous a posé des problèmes particuliers ?

Réponse : The French version from which I translated posed no problems at all. For a workingman, Barthas was an incredibly literate author. He was meticulous about places and dates, which made the spotting of places and the tracing of his journeys on maps very easy. (There were no maps in the French versions).

3] Comment avez-vous trouvé cet éditeur de grande réputation (Yale) ?

Réponse : Jay Winter, professor of history at Cambridge and Yale, recommended my proposal to Christopher Rogers at Yale University Press (Chris is now retired). 

4] Le livre en anglais est accompagné de commentaires d’historiens faits avant la parution. Comment les avez-vous obtenus ?

Réponse : The favorable quotes about the English-language book (called “blurbs” in American speech) were requested and collected by Yale University Press and came from a variety of historians, media, and myself. This is standard practice in the US and UK, even for academic works of history. Staff at the publisher usually coordinates this activity.

5] Je me souviens d’échos très favorables dans la presse américaine, notamment dans des titres prestigieux. Pouvez-vous revenir là-dessus ?

Réponse : Same as 4. The publisher sends “galleys” (advance copies of the book) to credible critics who are then ask to review the book and offer an opinion, usually positive.

From The New York Times : A Gimlet-Eyed Grunt, Soldiering Balefully Through a War’s Horrors : In the newly translated memoir “Poilu,” a Frenchman offers acidic observations on trench warfare while serving on the Western Front.

6] Comment marche le livre ? Dans les trois formules : hard, paper et e-book ? Réponse : The last sales figures for the English-language “Poilu” I have seen, dating to about a year ago, were about 15,000 worldwide. That’s considered a success in academic/university book publishing, I believe. I have asked for updated data but have not yet received it. I would welcome any further questions from you or anyone else.

Franck Le Cars (éd.) « Pabert, Journal d’un officier-brasseur dans la France occupée de la Grande Guerre »

Franck Le Cars (éd.) Pabert, Journal d’un officier-brasseur dans la France occupée de la Grande Guerre, Montpellier, chez l’éditeur, oct.2020, 482 p. , 22 euros, www.pabert.fr

Un document singulier

Franck Le Cars, inspiré par la piété filiale a mis le confinement à profit pour se lancer dans la mission difficile d’établir un texte que son trisaïeul avait rédigé en sténo pour échapper à une éventuelle saisie. Le témoignage de Pabert ( diminutif d’Albert Denisse ), parmi la marée de textes qui a précédé et accompagné le centenaire de la Grande guerre, présente une grande singularité. Officier d’active retraité, devenu un brasseur prospère à Etreux, village de l’Aisne proche du Cateau-Cambrésis, Pabert n’a pas été mobilisé. Il n’en a pas moins été frappé par la guerre dès la fin août 1914, par l’exil de toute sa famille et l’occupation de son village qui prend dès lors le statut d’un arrière-front des tranchées allemandes. Resté sur place pour protéger ses biens, il rédige avec minutie, sur plusieurs cahiers d’écolier, un journal où il consigne pour sa famille et pour mémoire ses activités et les menus événements d’un village qui a conservé ses cadres ( le maire, le curé), mais est contraint pour plus de 4 ans à vivre sous la férule d’une kommandantur allemande. Il réussit non sans mal à trouver des filières pour demeurer en contact avec sa famille mise à l’abri près de Melun et peut ainsi en suivre la santé, ainsi que la scolarité de ses enfants, échanger quelques nouvelles et insuffler l’espoir des retrouvailles.

« Les pays envahis supportent patiemment les dures épreuves qui nous sont imposées » (25 avril 1915)

Pabert ne se pose jamais en héros : il dure, et il endure toutes les tracasseries résultant de la situation. Souvent ironique à l’égard d’un maire poltron et combinard, jugé obséquieux à l’égard des officiers allemands qui le manipulent, il fréquente assidûment l’église où le curé bénéficie d’une relative autonomie. Obligé de ruser avec l’occupant, Il essaie sans grand succès de maintenir son activité économique en préservant son outil de travail. En ce moment où la production de la bière se trouve profondément transformée par l’émergence généralisée des petits brasseurs, les affres de leurs prédécesseurs en proie à une conjoncture de guerre sans merci intéresseront biérologues et biérophiles.

Pabert « brasse » lui-même, lance de nouveaux produits, comme ce cidre amélioré par des raisins secs, et cultive à grand peine un réseau commercial largement perturbé, la concurrence avec les autres brasseurs n’étant en rien diminuée par les pénuries de produits brassicoles. Contraint un temps de répartir avec un faible profit une bière brassée ailleurs sous l’autorité militaire, puis sommé de livrer ses machines pour la récupération des métaux au bénéfice des Allemands, il prend le parti d’effectuer une reconversion dans d’autres activités d’échange éloignées de la brasserie, celles d’ « épicier ravitailleur ». Cela occasionne de nombreux conflits entre commerçants et édiles, arbitrés parfois sans équité ni discernement par la kommandantur. Il observe les effets de l’occupation dans son village où se succèdent les réquisitions de marchandises, de locaux et de main-d’oeuvre . Les pénuries entraînent le rationnement et alimentent l’inflation. Pabert note précisément l’évolution du prix du pain qu’il compare à celle des boulangeries des villages voisins moins défavorisés . Délations et compromissions marquent le trouble profond ressenti par la population demeurée sur place.

Pabert observe attentivement le mouvement des troupes et leur allure, le survol des aéroplanes et des dirigeables. Il remarque le changement d’uniforme des vieux soldats bavarois qui avaient occupé Etreux au début de la guerre, le feldgrau remplaçant le bleu foncé traditionnel, puis l’arrivée de « vieux saxons» et de jeunes hussards très entreprenants avec les filles d’Etreux, celles-ci très accueillantes, ce qui le scandalise.

Vers la délivrance

Obligé d’héberger chez lui un des officiers allemands il observe une « réserve digne et polie » pour ménager des relations confiantes avec celui-ci, dont la présence vaut protection pour ses biens. Mais resté patriote dans son cœur, il épie les signes d’un déblocage stratégique, puis diplomatique.

Pabert note jour après jour le déchaînement ou l’apaisement des « canonnades » avec un mélange d’angoisse et d’espoir. Il s’efforce de suivre à travers des rumeurs contradictoires le déroulement de la bataille de Verdun. Il enregistre avec satisfaction l’entrée en guerre de l’Italie, de la Roumanie, puis des Etats-Unis, déplore les déboires des Alliés dans les Balkans, en Italie et s’indigne de la défection de la Russie, avant d’éprouver la crainte d’une extension de la révolution d’Octobre à l’Europe et au monde. Dès mai 1917 il place ses espoirs dans l’arbitrage du président Wilson, et semble bien informé des projets de celui-ci. Le huitième et dernier cahier, précéde l’armistice et le retour de sa famille. Pabert est alors partagé entre le soulagement de voir enfin s’infléchir le sort des armes, le souci des tracasseries et restrictions qu’il subit de plus belle, et l’angoisse de savoir son fils, parti très jeune en exil, en passe d’être mobilisé et envoyé au front sans qu’il ait pu le revoir. L’évacuation du village, décidée à la mi-octobre 1918, met fin au mémoire après quelques pages écrites au crayon.

Du nouveau sur bien des sujets

Pabert est très instructif à propos de la façon dont les Allemands pilotent l’administration des communes regroupées dans leur kommandantur en réunissant régulièrement les maires pour leur ordonner d’organiser le ravitaillement ou d’appuyer les réquisitions. On peut suivre aussi les nombreuses affaires de trafics, et les délits parfois insignifiants, qui sont jugés de manière expéditive par les responsables militaires allemands sans que les justiciables bénéficient des moindres garanties. En ce qui concerne les relations économiques, il apparaît que la monnaie garde la prééminence sur le troc. Mais les distributions relevant de dons, de la répartition de la pénurie ou des denrées acheminés par les Américains , mises à prix modéré sur le marché jusqu’à leur entrée en guerre en 1917 perturbent évidemment le jeu normal de l’offre et de la demande. On a une idée assez précise de la façon dont se déroulent les transactions , en panachant trois monnaies distinctes selon des proportions variables : aux francs et aux marks s’adjoignent les bons monétaires émis par les villes ce qui occasionne évidemment de multiples contestations. En 1917 malgré son souci d’éviter les querelles entre Français, Pabert est conduit à en venir aux mains avec son maire qui ne cessait de gêner ses activités en propageant des calomnies contre lui. L’année 1917 se conclut par une rafle d’otages à laquelle Pabert ne peut échapper mais il réussit à obtenir une libération après une semaine passée à Maubeuge, heureusement logés et nourris par la ville.

Le mémoire met en valeur des phénomènes fort peu étudiés, telle la mortalité des civils, résultant des privations et de épidémies, bien avant la fameuse grippe « espagnole ». Il mentionne les cas de décès liés aux conditions météorologiques désastreuses, compliquées par la malnutrition, la pénurie de charbon et la contagiosité résultant des mouvements de troupe et de la précarité des soins médicaux. Au-delà du seul témoignage, les informations souvent faussées qu’il a pu recueillir sur la marche des événements militaires, mais aussi sur la politique des pays belligérants, représentent une source importante pour l’analyse de l’opinion des civils et du climat culturel et social qui pouvait régner dans la zone occupée. Un document rare, volumineux, mais bien aéré et illustré. Une réussite.

Rémy Pech, mai 2021