The Trench , film britannique de William Boyd - 1999.
Un groupe de soldats britanniques attend le signal de l’attaque dans les tranchées de la Somme à la veille de l’offensive du 1er juillet 1916.
Un regard : Alexandre Lafon
L’action se situe dans les tranchées britanniques face aux positions allemandes de Montauban dans la Somme, deux jours avant l’offensive des troupes alliées du 1er juillet 1916. On y suit l’attente d’une partie d’une section, composée essentiellement de jeunes volontaires, avant l’assaut, baïonnette au canon. Ce premier jour de l’offensive de la Somme deviendra pour l’armée britannique, le jour où elle perdit le plus de soldats (60 000 pertes en deux heures, dont 20 000 tués).
L’intrigue sert essentiellement à dresser le portrait des hommes soumis à un huis clos entre les parois des tranchées qui sont leur seul horizon. Le danger rôde autour d’eux, et prend la forme des bombardements irréguliers mais destructeurs. Exposer son regard hors de la tranchée, c’est s’exposer à la mort ou à une blessure marquante comme en fait l’expérience le frère du « héros », très jeune soldat ayant menti sur son âge pour pouvoir accompagner justement son frère, volontaire pour le front français.
On suit donc pendant quelques heures ces hommes, jeunes, obligés de vivre ensemble, sous le regard des autres, entre camaraderie et amitiés, rapprochement et antagonisme nés de la tension permanente qui traverse le groupe. La tranchée se présentant comme le terrain idéal pour cette réflexion : huis clos, attente, présence continuelle de la mort, univers extra-ordinaire, société jeune et masculine exacerbant le télescopage entre identités individuelles et collectives, militaires et sociales. La hiérarchie militaire doublant la hiérarchie sociale, incarnée en la personne du lieutenant, jeune bourgeois lettré, qui cherche dans l’alcool un échappatoire. Confronté aux hommes du peuple, il n’arrive pas à trouver les mots et les gestes pour devenir leur égal (« Il est fait comme ça », dira un de ses hommes). La figure du sergent, seul soldat de métier, expérimenté, imprégné de la nécessité de l’ordre pour préserver la vie de ses hommes devient la figure pivot, celui qui, craint par les jeunes recrues, donne le chemin à suivre aux simples soldats, volontaires et sans expérience (voir Keegan, La Première Guerre mondiale, p. 58-359) ou déjà anciens du BEF, dont les motivations, parfois patriotiques, parfois pragmatiques (le jeune héros a suivi son frère, parce qu’il ne pouvait en être autrement). William Boyd évoque avec finesse la complexité des facteurs qui induisent les mécanismes des comportements dans la guerre. Certains perdent le sens de leur engagement, tandis que d’autres s’enferment dans un déni de la réalité capable de justifier leur présence dans cette tranchée coupée du monde. Ainsi, dans ce huis clos oppressant, l’équilibre psychologique individuel et collectif est mis à rude épreuve.
L’ennemi, invisible, perçu seulement à travers la ligne de barbelés située à quelques centaines de mètres de la tranchée, s’incarne pourtant vers la fin du film dans la peau d’un jeune prisonnier ramené par une patrouille : regardé avec curiosité, lynché par un soldat, il est vite protégé par les autres hommes qui sentent que ce voisin leur ressemble plus qu’il ne leur oppose une figure guerrière monstrueuse.
Finalement, la sortie des tranchées à 7h30 le matin du 1er juillet 1916 s’apparente à une délivrance mais qui ne pouvait finalement qu’aboutir à la mort. Retrouver les couleurs de la nature sur le vert champ de bataille conduit au massacre des hommes que nous avons suivis, réduisant à néant les espoirs, les doutes, les liens tissés dans cette section de première ligne. L’égalité devant la mort (le sergent et le lieutenant sont dans les premiers à tomber) mettant un point final à l’inégalité des rôles endossés, bon gré mal gré, par chacun des protagonistes sous l’uniforme.
William Boyd tente ainsi, en suivant le parcours de quelques hommes avant le déclenchement de la bataille de la Somme de montrer à la fois sur les faits, l’incroyable sûreté avec laquelle, encore en 1916, le commandement allié envisageait la percée possible en « écrasant » les lignes allemandes sous un déluge de feu (perceptible dans le film par le son continu des détonations), et sur le fond, d’explorer les comportements des « hommes en guerre ».
D’un point de vue esthétique, William Boyd s’inspire des plans et de l’utilisation des couleurs que l’on retrouve chez un autre réalisateur britannique, Stanley Kubrick, sans en restituer toujours la même force (les scènes de violence sont filmées avec un certain kitsch qui nuit au réalisme et à la crédibilité de l’événement). La dernière scène du film où les soldats se déploient, comme nus, sur le champ de bataille, fait la part belle aux ralentis et aux gros plans sur chacun des protagonistes : nous sommes les yeux du jeune héros du film qui comprend enfin, le souffle court, ce qu’un de ses camarades avait compris bien plus tôt que lui : l’impréparation des soldats à survivre sur le champ de bataille, l’incompétence du commandement à réellement protéger les hommes, lancés sur un objectif resté très bien défendu.
Au final, plus qu’un film sur la Grande Guerre et la bataille de la Somme, La Tranchée offre un prétexte à l’auteur, un terrain de réflexion pour interroger le phénomène guerre qui s’auto-alimente une fois lancé, et la manière dont les uns et les autres se l’approprient et tentent de lui donner sens.