Décidément les Français ne sont pas prêts d’avoir une présentation historiquement apaisée des guerres passées si l’on en juge par deux réactions apparues dernièrement suite à la déclaration de Jean-Marie Bockel, secrétaire d’Etat à la Défense et aux Anciens Combattants selon laquelle la situation des fusillés de 14-18 serait réexaminée. L’historien n’intervient pas dans cette polémique mais il se doit de relever les approximations qui émaillent çà et là l’expression de ces opinions. Yves Lemoine dans la série Rebonds de Libération du 29 Mai en commet quelques-unes. Dire qu’avant Pétain les poilus n’avaient qu’une permission de 36 h tous les 6 mois est faux. Les permissions établies depuis juillet 1915 étaient de 7 jours tous les quatre mois et c’est d’ailleurs ce non-respect durant la préparation de l’offensive Nivelle qui fut un des aliments des contestations de 1917.
L’armée n’était pas composée comme décrite par Yves Lemoine de gamins de 16 à 20 ans, mais de toute la population active de 20 à 45 ans qui était alors appelée sous les drapeaux; Mangin n’était pas polytechnicien, et les soldats « Tués par le feu trop court des canons de notre artillerie, avant que d’être fauchés par la mitraille allemande » ont difficilement pu être en même temps des fusillés…
Jean-Jacques Becker, d’un ton plus modéré, appuyé sur sa vaste connaissance de l’histoire de la Grande Guerre, défend toutefois une thèse qui mérite, après consultation des archives, d’être nuancée. Dans une lettre du 21 Mai 2008 à Jean-Marie Bockel, dont un extrait est paru sur le blog « La République des livres » de Pierre Assouline. Il affirme en effet : , je crois qu’on doit éviter d’employer la formule fusillés « pour l’exemple » historiquement fausse. Sauf de façon tout à fait marginale, il n’y a pas eu de condamnés pour « l ‘exemple »
Mes recherches m’ont permis de constater que ce terme « pour l’exemple » a eu officiellement cours durant la guerre, employé par les généraux sans qu’aucune remarque ne leur soit faite par le Haut Commandement ou l’exécutif. La fréquence d’emploi de ces termes a certes décru à partir de 1917 mais sans disparition.
Pour appuyer mes dires, voici quelques exemples, naturellement non exhaustifs, repris majoritairement des archives du SHD à Vincennes
1914
31 Août 1914 : Le Général Sarrail commandant la 3° armée, s’adressant au général Paul Durand qui lui parle de l’épuisement de ses hommes :
« Pas de si, pas de mais, vous attaquerez. Pas de repli, tenir jusqu’au dernier ; Faites des exemples ! » (Cité dans le cours du général Blanc à l’Ecole Supérieure de Guerre.)
1916
Juillet 1916
Il est absolument nécessaire de réprimer impitoyablement ces défaillances pour 1 ‘exemple, pour la discipline des combats futurs , pour le renom de la Division.
Le Général L… cdt la 40ème DI (SHD 19 N 41)
11 juillet 1916
Avis sur demande recours en grâce P…… ( La justice doit suivre son cours. Récidiviste. La situation générale exige des exemples pour le salut du pays)
Signé de Maud’huy (SHD 19 N 300)
3 août 1916
Demande grâce pour L…. : Avis défavorable à toute mesure de clémence pour l’exemple nécessaire.
Général Baret Cdt 14° Corps d’armée (SHD 19 N 300)
IIème ARMEE
N° 5.731/J
s.c. N° 3844
Exécution de la Note n° 4.724 du GQG du 5 février 1917
AVIS DU GENERAL COMMANDANT LA IIème ARMEE
Sur la proposition de Loi adoptée le 3 octobre 1916
Par la Chambre des Députés relativement
Au Code de Justice Militaire
« Ce n’est pas tant le coupable que l’on veut punir, c’est sur le moral vacillant de ceux qui l’entourent que l’on veut agir […]
Ceux qui ont connu les heures sombres du début de la guerre ne peuvent pas oublier la nécessité et l’efficacité des exemples qu’il a fallu faire, quoi qu’il en ait coûté. Qui peut répondre qu’il n’en sera pas encore de même à certains moments.
Signé Guillaumat( SHD 19 N 300)
VI° ARMEE QG le 3 Juin 1917
Etat-Major 18 N 37
3me Bureau
N° 2665/3 SECRET
Il est permis d’espérer toutefois que cette effervescence qui parait être un moment de vertige, sera passagère. Des mesures énergiques sont prises pour arrêter un certain nombre de meneurs et faire des exemples. Je vous tiendrai au courant.
Signé: Général MAISTRE, Cdt la VI° Armée ( SHD 18 N 37)
Exécution des prescriptions de la Note 6ème Armée n° 8520/1 du 12 juin 1917
27° Division QG le 15 Juin 1917
Etat-Major 19 N 991
1er Bureau
N° 102 P
Le caporal Truton a été incontestablement un des meneurs. Des exemples impitoyables sont nécessaires en ce moment.
Le Général R…. Commandant la 27ème DI ( SHD 19 N 991)
Un livre à paraître à l’automne aux éditions Autrement intitulé Eugène Bouret, le fusillé innocent de 1914 de Didier Callabre et Gilles Vauclair est à conseiller à ceux qui veulent avoir un aperçu un peu plus poussé sur cette question, ainsi que la lecture des ouvrages déjà parus Les fusillés de la Grande Guerre et Fusillés pour l’exemple.
André Bach