Une forte mobilisation de la communauté historienne sur la Grande Guerre est en cours afin d’éviter la destruction programmée du monument allemand du cimetière Saint-Charles à Sedan. On peut lire un article de la presse locale qui en rappelle les enjeux.On trouvera ci-dessous le courrier adressé au maire de Sedan par des historien/nes à l’initiative de Nicolas Offenstadt, ainsi qu’un descriptif du monument par Nicolas Charles.
Contact : nicolas.offenstadt@univ-paris1.fr
Lettre adressée au maire de Sedan
Monsieur le Maire,
Historiens et chercheurs, spécialistes de la Grande Guerre nous avons appris que la ville avait décidé de détruire le monument allemand 14-18 du cimetière Saint-Charles avec l’accord des associations patriotiques pour construire un ossuaire français. Nous nous permettons de vous écrire pour vous faire part de notre indignation et vous demander de reconsidérer cette décision afin de préserver un lieu de mémoire très significatif de la Grande Guerre. Cette décision nous paraît peu justifiable pour plusieurs raisons
– D’abord l’architecture du monument et le témoignage qu’il porte sur cette période de l’histoire sont à la fois riches et originaux. Son ampleur permet aussi d’en faire un témoin visible et aménageable dans une intention pédagogique.
– Enfin à l’heure de la « mémoire partagée », à l’approche du centenaire de la Grande Guerre qui sera à l’évidence franco-allemand, européen et international, on ne peut concevoir que les autorités françaises détruisent un patrimoine allemand si important au lieu de veiller à sa préservation.
– Une telle politique de préservation se justifie d’autant plus que cette période suscite des interrogations et un intérêt certain dans un très large public, comme en témoignent les innombrables activités de mémoire autour de la Grande Guerre.
Avec tous nos remerciements pour l’intérêt que vous voudrez bien prêter à notre requête, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Maire, l’assurance de notre respectueuse considération
Vincent Auzas, doctorant à l’Institut d’histoire du Temps Présent, Sylvette Boyer, Professeure au Lycée de Nouméa, Philippe Boulenger, Professeur à l’Université de Cergy-Pontoise, Rémy Cazals, Professeur à l’Université de Toulouse, Yohann Chanoir, Professeur au Lycée de Reims, Nicolas Charles, Professeur au collège de Monthermé, Christian Chevandier, Professeur à l’Université du Havre, Rémi Dalisson, Professeur à l’Université de Rouen, Mourad Djebabla-Brun Professeur adjoint au Collège militaire royal du Canada (Kingston, Canada), Irene Guerrini, Chercheuse à Gênes (Italie), Benjamin Gilles, Conservateur à la Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine, Thierry Hardier, Professeur au collège de Noyon, Charles Heimberg, Professeur à l’Université de Genève (Suisse), Anne Hertzog, Maîtresse de conférences à l’Université de Cergy-Pontoise, Elise Julien, Maîtresse de conférence à l’Institut d’Etudes Politiques de Lille, Gerd Krumeich, Professeur à l’Université de Düssledorf, Alexandre Lafon, Professeur au Lycée d’Agen, Michel Litalien, Directeur, Réseau des musées des Forces canadiennes, Marie Llosa, doctorante à l’Université de Toulouse II, André Loez, Professeur de lettres supérieures, Paris, Nicolas Mariot, Chercheur au CNRS, Valériane Milloz, doctorante à l’Université de Paris I, Julien Mary, doctorant à l’Université de Montpellier, Philippe Nivet, Professeur à l’Université d’Amiens, Nicolas Offenstadt, Maitre de conférences à l’Université de Paris I, Philippe Olivera, Professeur au Lycée de Marseille, Jean-Paul Pellegrinetti, Maître de conférences à l’Université de Nice, Stéfanie Prezioso, Professeure à l’Université de Lausanne (Suisse), Antoine Prost, Professeur à l’Université de Paris I, Marco Pluviano, Chercheur à Gênes (Italie), Yann Prouillet, Société philomatique vosgienne, Jean-Louis Robert, Professeur à l’Université de Paris I, Denis Rolland, Société historique de Soissons, Frédéric Rousseau, Professeur à l’Université de Montpellier, Arndt Weinrich, Chercheur à l’Institut historique allemand, Paris
Monument commémoratif allemand du cimetière Saint-Charles de Sedan.
C’est au cimetière Saint-Charles que se dresse le plus important monument commémoratif érigé par les Allemands dans les Ardennes durant la Première Guerre mondiale. Aujourd’hui, il est également l’un des plus imposants de tous ceux réalisés par les troupes de Guillaume II dans les territoires français passés sous leur domination entre 1914 et 1918.
Les Allemands décident dès septembre 1914 de créer un carré militaire dans le cimetière municipal de Sedan pour enterrer leurs soldats morts dans le secteur. Sur le mur du fond, les Allemands ont fait graver sur des plaques de marbre le nom des soldats morts. Au centre du mur est créée une croix en or entourée de deux couronnes vertes. Celle-ci n’existe plus, tout comme le mur du fond. Les plaques se trouvant tout autour du monument, où étaient aussi inscrits des noms de soldats morts ne se trouvent plus sur place, seuls leurs emplacements sont encore présents.
A partir de 1915, les occupants décident de sacraliser cet espace en construisant un grand monument destiné à rendre hommage aux troupes tombées au champ d’honneur. Lony, professeur à l’école d’architecture de Trèves, et officier délégué, fit les plans de cet édifice. La construction s’étale de juin à octobre 1915, elle est réalisée par des soldats d’une division sanitaire stationnée à Sedan. Pour les matériaux, le choix de l’architecte se porte sur le fer et le béton, matériaux novateurs pour ce genre d’édifice : c’est un des premiers monuments réalisés en béton armé.
L’architecte fait construire un mur pour délimiter le carré Allemand du reste du cimetière. Il décide d’utiliser la pente en construisant deux terrasses. Au centre, il place un monument important : 9,3 mètres de long et 5, 35 mètres de large. L’édifice a des allures de monuments antiques avec ses quatre colonnes doriques. Celui-ci semble être une porte d’entrée vers le ciel, selon les souhaits de son concepteur. Sur chaque côté est ménagée une entrée. Les deux piliers principaux aux angles de la façade sont couronnés par des fruits stylisés. La façade principale porte une inscription de quatre lignes, texte poétique de Joseph von Lauff :
Kämpfend für Kaiser und Reich, nahm Gott uns die irdische Sonne ;
Jetzt vom Irdischen frei, strahlt uns sein ewiges Licht.
Heilig die Stätte, die ihr durch blutige Opfer geweiht habt!
Dreimal heilig für uns durch das Opfer des Danks.
Combattant pour l’Empereur et pour l’Empire, Dieu nous a pris le soleil terrestre.
Maintenant, libérés de toutes choses terrestres, sa lumière éternelle nous illumine.
Sacrée soit cette place, que vous avez consacrée par des victimes sanglantes.
Trois fois sacrée pour nous par le sacrifice du remerciement.
À l’intérieur, sur le plafond, trois couronnes végétales entourent deux croix de fer. Au centre, l’ordre « pour le mérite » est représenté.
Son implantation à Sedan n’est sans doute pas le fruit du hasard. C’est une des villes importantes de l’arrière front où sont cantonnés un grand nombre de soldats au repos ou en convalescence. La ville abrite aussi un important camp de prisonniers (l’un des plus importants du front occidental) dans le château fort. Mais Sedan est surtout pour les troupes impériales un lieu fondateur de leur nation. C’est là que le 2 septembre 1870 Napoléon III signe la capitulation de son armée face aux troupes de Guillaume Ier. Quelques mois plus tard, le grand-père de Guillaume II fonde à Versailles le IIème Reich allemand.
Le monument est aujourd’hui isolé au milieu du cimetière civil puisque toutes les sépultures allemandes ont été enlevées et déplacées vers plusieurs cimetières militaires germaniques des Ardennes (notamment celui de Noyer-Pont-Maugis qui se trouve à quelques kilomètres). Il est l’un des derniers témoignages dans le département des Ardennes des nombreux monuments commémoratifs qu’avaient construit les Allemands.
Nicolas CHARLES
Sources :
Archives privées de la Société d’Histoire et d’Archéologie du Sedanais (images et documentation).
LAMBERT J. et WEISS R., Occupation, Besatzungseiten, les Ardennes (1914-1918) et la Rhénanie (1919-1930), Terres Ardennaises, Charleville-Mézières, 2007, 427 p.