Lorsqu’en 2003, Noël Genteur nous accueillait pour la première fois à Craonne, au Chemin des Dames, il nous recommandait avec enthousiasme et solennité Le Livre de 15 grammes Caporal de Jean Arbousset. Il nous en faisait lecture pour partie. Petite perle douloureuse et poétique… de 56 gr. toutefois sur la balance.
Quelques vingt ans plus tard, c’est une œuvre d’un autre calibre que je me dois de vous présenter : Voix éclatées (de 14 à 18), (407 pages, 25 €, 666 gr à la livraison) de Patrick Quillier. L’auteur, notre contemporain, n’écrit pas de la tranchée, mais avec les combattants et leurs contemporain-es. Ceux d’Aiglun et de Sigale, de sa vallée de l’Estéron, et d’autres, connus et inconnus : Jean Arbousset, Alain Fournier, Appolinaire, Charles Péguy, Louis Pergaud, Jean de la Ville de Mirmont, Marie Curie…
Dans son œuvre homérique, le poète fait soliloquer le combattant enfoui dans le trou puant, le cycliste en vadrouille qui découvre les lettres des morts, les mères, les parents et enfants de l’arrière, les brancardiers et infirmières… Des chœurs répondent à l’antique.
Ces Voix éclatées, éditées en 2018, n’ont pas rencontré les commémorations du Centenaire. Elles ne figurent pas parmi les voix mémorielles proposées à la lecture des fidèles des lieux de mémoire de la Guerre dite Grande, ni à la Caverne du Dragon, ni ailleurs.
À côté des témoignages, des écrits des historiens, des œuvres plastiques comme celles de Kern ou Lapie, au Chemin des Dames et ailleurs, à la nécropole de Craonnelle un soir de 16 avril ou lors d’autre commémoration, Voix éclatées (de 14 à 18) doivent pouvoir se faire entendre.
p. 191, il est question de Gaston Schegg, sculpteur local choisi pour élaborer le monument aux morts du village. Il sculpte le visage de son fils Pierre-Guillaume, mort à 20 ans au Chemin des Dames, le 17 avril 1917.
C’est cette face-là,
les yeux exorbités, la bouche bée,
un cri figé resté gelé en gorge,
qu’il sculpte à Quinsac, sur le monument aux morts:
Ainsi le visage du fils
sort de la colonne, au-dessus d’un coq,
Qui chante victoire et qui chante gloire.
Et donc au-dessus de l’image pieuse,
C’est la vision même qui le poursuit
qui le représente, son fils au dernier
moment de sa vie, au saisissement
inouï d’une horreur indescriptible.
Ce court extrait n’est pas sans nous rappeler le triptyque de Jacques Tardi conservé en mairie de Craonne.
Didier Cochet, décembre 2024