Les Mémoires de jeunesse de Vera Brittain (Testament of Youth, 1933) ont rencontré un grand succès d’édition en leur temps et ont fait l’objet de plusieurs adaptations à l’écran ; cette traduction de qualité (J. Kamoun et G. Jamin) met enfin à la disposition des lectrices et lecteurs français cette publication des éditions Viviane Hamy (2023). Vera Brittain (1893 – 1970), née dans une famille bourgeoise britannique, entame contre son milieu des études à Oxford, puis devient infirmière volontaire de 1915 jusqu’à la fin de la guerre. Féministe, elle est après-guerre pacifiste, européenne, et se rapproche du parti travailliste, tout en vivant de sa plume comme journaliste et écrivaine. Le livre n’est pas qu’un simple récit de guerre, il s’agit d’une autobiographie depuis l’enfance jusqu’à 1925, même si l’expérience du conflit est centrale. Comme équivalent français (une soignante, féministe et future européenne), on pense au premier tome des Mémoires d’une européenne de Louise Weiss, mais celle-ci est tout feu tout flamme, alors que Vera Brittain est toute en interrogations et intériorité. La qualité du livre est liée à une narration à la première personne, toute faite de franchise et d’épanchement sur ses doutes puis ses décisions, et met en scène une jeune femme racontant son émancipation progressive, ses souffrances et ses combats. C’est aussi une histoire d’amour, et l’originalité du ton de l’autrice fait que l’on hésite souvent entre la catégorie du récit historique et celle du romanesque : c’est en fait un vrai Bildungsroman, au ton réfléchi et plein de finesse. Aussi, sans « spoiler », je conseillerais de lire d’abord le livre sans consulter par avance aucune explication ni étude – il en existe de nombreuses –, pour profiter de ce plaisir de lecture et de cette belle expérience littéraire.
Vincent Suard