Comment écrire la guerre ? Sans frontières. La réponse s’est construite au fil des quatre sessions du colloque du CRID tenu à Laon les 10 et 11 novembre 2017 pour s’imposer comme une évidence. D’un apparent habit d’Arlequin a pu naitre alors une stimulante histoire en miettes.
Les causes mondiales du conflit analysées en anglais depuis les Etats-Unis (Alexander Aniévas), le Canada et les enjeux de sa muséographie militaire qui peine encore à faire toujours coïncider principe de véracité et récit national (Michel Litalien), les écrits des soldats-témoins tchèques prosopographiés, finement analysés dans les temporalités de leurs productions (Héléna Trnkova), les nids d’espions des interfaces baltes disséqués (Maurice Carrez) et la micro-étude des habitants de 16,54 km2 (Christine Delpous) ont documenté 1914-1918 qui est resté à l’honneur, CRID oblige, mais sous des angles à plusieurs titres singuliers permettant que se répondent les échelles et les territoires.
Macro-micro, des frontières chronologiques ont été également franchies puisqu’il fut question de « La guerre-monde, 1937-1947 » (Alya Aglan) et d’une étude acérée des témoignages des déportés juifs néerlandais (Bieke Van Camp). L’Indochine eut aussi son moment (Pierre Journoud) et même, en référence, la bataille de Salamine.
Frontières heureusement poreuses encore entre champs disciplinaires, spécialistes et non spécialistes pour un débat fécond. Sur fond d’Aisne en guerre, le héros de la romancière Laurence Campa, Thomas, amoureux fou de sa « Colombe sous la lune », fut le support d’une discussion (lancée par François Péroche), dans lequel l’expression des émotions, chérie par la fiction, et le « pacte de véracité » signé sans réserve – en principe – par les historiens ont pris toute leur place. Mais les procédés d’écriture diffèrent-ils vraiment entre une « bulle de tragédie » et un « récit académique » ? Tous se sont accordés, pour des raisons différentes d’ailleurs, sur l’importance du « principe d’incertitude ». Dans l’interstice s’est glissé le retour d’expérience de P. Journoud, conseiller historique de la série documentaire Apocalypse. Quelle peut être la fonction de l’historien sur une pareille cathédrale d’images ? Eclaireur ? Caution ? Guide ? Sans doute un mélange de tout cela dans un rôle qui semble obliger en tous les cas celui qui s’y prête à beaucoup d’humilité. Et si l’historien acceptait de servir également de relais, entre réalisateurs, producteurs et spectateurs, ce qui permettrait une vraie appropriation de ces documentaires ? Pour conclure, le grand spécialiste du conflit indochinois n’en plaida pas moins pour une histoire « sexy ».
Sans frontières de normes académiques enfin – s’il était encore besoin de l’écrire, en France plus qu’en Suisse, les marges sont étroites pour ceux qui rédigent les manuels scolaires (Sébastien Cote) tant pèsent de contraintes sur leur travail. De temps, de cadre, de formes, de contenus, de demandes sociales souvent contradictoires. Comment alors investir ces marges ? Quelle histoire de la guerre, des guerres, la société doit-elle transmettre aux enfants et aux adolescents et comment écrire alors sur le sujet un « savoir historique savoureux » (Charles Heimberg) ? Quels contenus, quelles méthodes, quels temps aussi pour enseigner aujourd’hui une histoire des conflits (Thierry Hardier –Yohan Chanoir ) ?
Cela reste la grande force du CRID 14-18, et une part de son identité, que de permettre par le biais du colloque international organisé à Craonne de réunir sur des chemins de traverse – aux itinéraires habituels des manifestations scientifiques – des historiens venus de multiples horizons et des acteurs de champs disciplinaires différents dans une ambiance cordialement constructive. C’est la confrontation intellectuelle dans cette mixité qui nourrit la réflexion d’une approche renouvelée de la Grande Guerre – et des autres -. Quand tant de mises en récits des guerres sont capables de se retrouver, chacune peut vraiment s’y retrouver.
Christine Delpous, CRID 14-18