Collectif
de Recherche
International
et de Débat
sur la guerre
de 1914-1918
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Textes destinés
à un usage pédagogique
La guerre des tranchées: violence, mort, blessure |
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Deux
lettres de guerre de Marcel Papillon, soldat français, le 13 avril et 18 avril
1915 :
« 3h du soir. Je suis
avec Simon, Moreau et Savelly. Hier soir, nous avons dîné ensemble et pour le
moment, nous buvons un verre ensemble. Nous sommes au repos en attendant que
l'on nous reforme. Nous n'avons plus d'officiers. Dans le bataillon, il nous
reste un lieutenant et un sous-lieutenant. Nous avons passé une semaine
terrible, c'est honteux, affreux ; c'est impossible de se faire une idée d'un
pareil carnage. Jamais on ne pourra sortir d'un pareil enfer. Les morts couvrent
le terrain. Boches et Français sont entassés les uns sur les autres, dans la
boue. On marche dessus et dans l'eau jusqu'aux genoux. Nous avons attaqué 2 fois
au Bois-le-Prêtre, au quart en réserve. Nous avons gagné un peu de terrain - qui
a été en entier arrosé de sang.
Ceux qui veulent la guerre qu'ils
viennent la faire, j'en ai plein le dos et je ne suis pas le seul. Savelly m'a
prêté 5 francs, inutile de m'en envoyer pour le moment, vous ferez remettre ces
5 fr au père Savelly par Brisdoux.
Dans la passe où nous sommes,
la mort nous attend à tout moment. Donc inutile de rien m'envoyer. Je n'ai pas
reçu de lettre de chez nous depuis le 25 mars.
Enfin, il ne faut
pas désespérer, on peut être blessé. Quant à la mort, si elle vient, ce sera une
délivrance.
Il n'est pas croyable qu'on puisse faire souffrir et
manoeuvrer des hommes de pareille manière pour avancer de quelques mètres de
terrain. Si jamais l'on rentre, on en parlera de la guerre ! Tas d'embusqués et
de planqués, qu'ils viennent un peu prendre notre place, ensuite ils auront le
droit de causer […] »
« Je
voudrais bien en être sauvé, de ce maudit Bois-le-Prêtre, c'est un sale coin.
Vous avez dû voir sur les journaux que l'on s'est cogné fort dans nos parages.
Vous avez du recevoir une de mes dernières lettres dans laquelle je vous disais
de remettre 5 f au père Savelly. Vous me direz si vous l'avez fait. Comme je
n'avais plus de pognon, Savelly m'en avait prêté. Dans les conditions où nous
nous trouvons, il ne faut pas beaucoup d'argent à la fois. Envoyez moi 5 F par
mandat-carte et gardez bien le reçu.
Je viens de recevoir une
carte de Lucien. Lui non plus ne tardera pas à partir. J'ai vu Mathey hier, je
pense voir Simon tout à l'heure. Au 353 aussi, les rangs s'éclaircissent. J'ai
reçu une lettre de Jeamblanc. Il me dit que ça va maintenant, mais qu'il a
encore un bout de temps à se guérir. Il fait beau temps, mais froid. Moreau est
aux tranchées, nous y remontons ce soir les remplacer [...]
Je
rouvre ma lettre. En cherchant après Simon, je rencontre Mathé qui me paralyse
tout net. C'est terrible. Ce pauvre Simon a été tué avant-hier par un éclat
d'obus qui lui a enlevé le derrière de la tête. Il n'a pas souffert. Il est
enterré ce matin à 9 h. 1/2. J'irai si possible. Nous avions bien dîné et fait
une petite réjouissance la veille avec Savelly et Moreau. C'est abominable de
voir une boucherie pareille. Nous n'en sortirons pas. Marcelot a écrit la triste
nouvelle chez lui en disant d'en informer la famille à Simon. De votre côté, je
compte sur vous pour en informer la famille le plus doucement possible. Vous
direz que j'ai écrit qu'il avait été assez gravement blessé et dirigé sur un
hôpital. Comme je crains que le coup fasse trop d'émotion, papa pourrait
peut-être commencer par en aviser la famille de Saint-Père. Enfin, je compte sur
vous pour cela. Ce pauvre camarade, nous avons passé ses derniers instants
ensemble, nous ne pensions pas à un tel malheur. Il est enterré à Montauville
dans le cimetière militaire, à 50 mètres du cimetière civil. Du reste, je suis
là pour tous renseignements quelconques.
P.S. Marcelot l'a vu tué
dans la tranchée et Mathé l'a vu mort à Montauville, il n'y a pas
d'erreur. »
Lettres de Marcel Papillon à ses
parents, Marthe, Joseph, Lucien, Marcel Papillon,
« Si je reviens comme je l’espère » Lettres du front et de l’arrière
1914-1918, Paris, Grasset, 2004, p.
124-125.
Marcel
Papillon est l’aîné de trois frères mobilisés
(Joseph et Lucien, dont il est question dans la seconde lettre),
originaires de Vézelay. Clerc de notaire mais issu d’un
milieu populaire, il est incorporé au 356e RI
et combat en avril 1915 dans le très difficile secteur du
Bois-le-Prêtre (bataille de la Woëvre). Le « quart
en réserve » désigne la partie ouest du
secteur où les tranchées allemandes sont solidement
aménagées. On remarque dans ses lettres la juxtaposition
d’éléments relatifs aux combats et de préoccupations
familiales et locales maintenues. On note aussi l’importance
des liens de camaraderie entre combattants, jusque dans la mort.
Pour prolonger l’étude voir la postface à l’ouvrage
par Rémy Cazals et Nicolas Offenstadt, « Du Bois-le-Prêtre
au « Front intérieur ». Les expériences
de guerre des Papillon », p. 363-381.
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La boue et la difficulté des conditions de vie en hiver en 1916 :
« Ce matin, j’ai eu la frousse d’avoir des pieds gelés dans ma
section : il y avait sur la gadoue une couche de glace qu’on brisait en
avançant ; heureusement, les poilus qui avaient passé la nuit dehors
s’étaient arrangés pour avoir les jambes émergeantes : ils avaient
fabriqué de petits îlots avec des sacs et des débris divers. Je n’ai eu qu’un homme
dont les pieds aient été sérieusement atteints, et encore guérissables.
Et nous n’avons rien perdu à changer de secteur : la
compagnie qui
nous a remplacés, dans celui que nous occupions il y a quinze
jours, a déjà
perdu un homme enlisé dans un boyau (l’horrible
mort !). Les dernières
pluies ont donc été catastrophales un peu partout.
C’est égal, il faut le voir
pour y croire. Je sais maintenant que les caricatures des journaux
montrant des
poilus embourbés n’ont rien
d’exagéré ; et c’est quelquefois moins
drôle. »
Marcel
Etévé, Lettres d’un combattant, Paris, Hachette, 1917, p 172-173.
L’auteur
est parti au front comme sous-lieutenant en avril 1915 et sera tué le 20
juillet 1916. la description qu’il donne ici correspond au secteur du
Port-Fontenoy (Aisne), le 21 février 1916. Il appartient au 417e RI.
On constate à la fois la distance qu’il peut y avoir de
lui à ses hommes (ils
ont passé la nuit dehors) et le sentiment de
responsabilité qui est le sien, ainsi que le retour
critique sur les représentations
consensuelles véhiculées par la presse.
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La
violence du bombardement sur le front ouest en 1916 :
« Au
cours de l’après-midi, le feu atteignit une intensité telle qu’il ne restait
plus que le sentiment d’un tohu-bohu colossal, où s’engloutissait chaque bruit
isolé. A partir de sept heures, la place et les maisons voisines reçurent à des
intervalles d’une demi-minute des obus de 150. Beaucoup d’entre eux
n’éclatèrent pas: leur choc bref, énervant, secouait la maison jusqu’à ses
fondations. Et pendant tout ce temps, nous restâmes dans notre cave, assis dans
des fauteuils recouverts de soie autour de la table, la tête entre les mains, à
compter les intervalles des explosions. Les blagues devinrent de plus en plus
rares, et, pour finir, les plus hardis eux-mêmes se turent. A huit heures, la
maison voisine s’effondra, ayant reçu deux coups en plein; l’écroulement
souleva un énorme nuage de poussière. Entre neuf et dix heures, le feu prit une
violence démentielle. La terre vacillait, le ciel semblait une marmite de
géants en train de bouillir. Des centaines de batteries lourdes tonnaient à
Combles et tout autour; des obus sans nombre se croisaient, hurlant et
miaulant, au-dessus de nous. Tout était enveloppé d’une fumée épaisse, éclairée
de lueurs funèbres par des fusées de couleur.
Sous l’effet de violentes douleurs dans la tête et les oreilles, nous ne
pouvions nous entendre qu’en braillant des mots sans suite. La faculté de
penser logiquement et le sens de la pesanteur semblaient paralysés. On était en
proie au sentiment de l’inéluctable et du nécessaire, comme devant la fureur
des éléments. Un sous-officier de la troisième section devint fou furieux. A
dix heures, ce carnaval d’enfer s’apaisa peu à peu et se changea en un feu
roulant où, à vrai dire, on ne pouvait encore distinguer les coups les uns des
autres. »
Ernst
Jünger, In Stahlgewittern, 1929,
trad. fr., Orages d’acier, Paris,
Christian Bourgois, 1970, réed. Livre de Poche, 2000, p. 126-7.
Ernst
Jünger (1895-1998), engagé à 19 ans en 1914, devient un homme de lettres et
écrivain influent en Allemagne après la guerre, et poursuit une œuvre de
tonalité conservatrice et militariste en même temps qu’un compagnonnage avec le
régime nazi. Orages d’acier est le récit autobiographique tiré de son expérience
de guerre, fortement esthétisée et vue comme une épreuve grisante pour
individus d’exception. Ce passage décrit un bombardement qu’il subit à la tête
de sa section dans le village de Combles (Somme) en août 1916. Il peut faire
l’objet d’une exploitation pédagogique fondée sur la localisation (où
est-on ? sur le front ouest, en France, du côté allemand, dans un village proche
du front) la durée (demander aux élèves quand commence et finit le
bombardement) et les effets (sonores, destructeurs, psychiques) du bombardement. |
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