Collectif
de Recherche
International
et de Débat
sur la guerre
de 1914-1918
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« Mon journal de guerre avec les Chasseurs (1914-1918) », de Bertrand Sittler |
Dans son Bulletin n° 128 (2005, paru en 2006), p. 8-124, la Société
d’Emulation de Montbéliard publie le texte intégral de « Mon journal de
guerre avec les Chasseurs (1914-1918) », de Bertrand Sittler, précédé
d’une brève présentation par Michel Turlotte.
1. L’auteur : Bertrand Sittler
Né à Montbéliard le 22 avril 1891. Parents négociants en vins et liqueurs.
Service militaire au 21e BCP, sergent en 1913.
Août 14 (il a 23 ans, célibataire) : 15e groupe de chasseurs cyclistes, 8e DC ; Alsace, Lorraine, Artois.
1915 : Champagne. Attaque de septembre (passages intéressants
sur la préparation, p. 44 ; sur la prise du Trou Bricot, p. 48)
Fin 15 et plus grande partie de 16 en Lorraine.
Octobre 16 à Verdun au 107e BCP (reprise de Douaumont p. 69-75 ; attaque de décembre p. 79-85).
Avril
17 au Ch. des D., récit assez bref (17 avril : l’attaque se présente
mal ; 28 avril : attaque de la sucrerie de Cerny ; mauvais
ravitaillement, murmures ; infanterie victime de l’artillerie
française, menaces contre artilleurs ; 1er-2 mai : tomber sur les
cadavres des attaques précédentes).
Mai à novembre 17 en Flandres.
1918 au 116e BCA, chef de section, promu sous-lieutenant en septembre.
Survivant, B.S. reprend commerce de ses parents. Mort en 1983.
Rédaction
au propre après la guerre. La précision des dates, lieux, descriptions,
montre que l’auteur avait des notes très élaborées. Rien ne permet de
dire qu’il en ait modifié l’esprit. Je pense qu’elles ont été, dans
l’ensemble, recopiées. Deux indices de cela :
- la description des
premiers tanks en octobre 1916, p. 67 : « ce sont paraît-il des autos
blindées rampant comme des vers de terre, armées de mitrailleuses et de
canon, pouvant franchir des tranchées de trois mètres ».
- fin août 18 : « L’ennemi recule de plus en plus. On
entrevoit comme une mince lueur d’espoir la fin de la guerre.
»
2. Des descriptions confirmant ce que l’on sait déjà, mais toujours intéressantes
Tranchées,
no man’s land, bombardements, montée en ligne, corvées, convois de
bourricots algériens, attaques, attaque ennemie brisée par les
mitrailleuses, la boue (le poids de la boue sur les capotes, p. 69 ; se
nettoyer, p. 75), le sauvetage d’un camarade enseveli, un poste de
secours très encombré…
Le repos, jeux des soldats, corbeau
apprivoisé, braconnage pour améliorer l’ordinaire, à quoi sert la
calotte métallique distribuée en avril 15, à quoi sert la graisse
distribuée comme anti-gel pour les pieds…
Le « pays », les gars du pays, on parle du pays, chansons
du pays, mesure à l’aune des réalités du
pays…
Une
fraternisation (p. 24, Artois, dès octobre 14) ; une exécution (p. 25,
octobre 14, le chasseur Richter) ; une condamnation légère (p. 96, mai
17).
3. Plus original
p. 54, Lorraine, novembre 15, une
batterie de fusils : « pointés sur des objectifs boches, ponts,
chemins, etc. Tous ceux qui passent par là doivent tirer sur le manche
actionnant cette batterie, puis les recharger pour que les suivants
fassent de même. »
p. 70, Verdun, octobre 16, un avertisseur sonore
: « un drôle d’engin porté par deux hommes : il s’agit d’une espèce de
pompe qui émet deux sons dans le genre de la trompe des autos de
pompiers. C’est, disent-ils, pour signaler en morse par le son. Dans le
vacarme ambiant, cela paraît hallucinant ! »
p. 98, Flandres, août
17, le chien sentinelle : « Son gardien m’appelle un jour pour aller le
voir. Lorsque nous arrivâmes,le chien était couché en rond et ronflait
on ne peut mieux. J’en rendis compte au capitaine qui le fit renvoyer à
l’arrière. »
4. Des remarques intéressantes révélant des situations concrètes
p. 12, Alsace, août 14 : des Français prennent d’autres F. pour des ennemis
p. 21, Artois, octobre 14 : des dragons, sabre au clair, font repartir en avant des territoriaux en retraite
p.
45, Champagne, août 15 : chasseurs accusés de venir « embêter » les
Boches, puis de partir en laissant l’infanterie subir les représailles
p. 49, Champagne, septembre 15 : un chef refuse de lancer l’attaque car les barbelés ne sont pas détruits
p.
70, Verdun, octobre 16 : « Nous restons ainsi toute la journée du 23,
ainsi que la nuit suivante, tout en souhaitant recevoir l’ordre
d’attaquer pour soulager nos misères. »
p. 95, après le Ch. des D.,
période de repos près de Dunkerque, mai 17 : « On tiendrait bien ainsi
jusqu’à la fin de la guerre. »
p. 116, sept. 18 : malgré les injonctions du lieutenant, les hommes refusent de chanter la Madelon.
p. 119, sept. 18 : officier sort son revolver et menace les chasseurs qui ne veulent pas attaquer.
5. Des éléments pour discuter sur l’ensauvagement
voir ci-dessus : le « pays »
p. 45, popote chez une brave femme, comme en famille ; p. 63, amende à ceux qui prononcent des jurons
p. 51 : « attention, ne marchez pas sur le corps de nos camarades »
Situations
concrètes quand on a pris une tranchée : tuer ceux qui résistent,
lancer des grenades dans les abris d’où pourraient sortir des ennemis
pour tirer dans le dos, envoyer ceux qui se rendent à l’arrière.
Un
passage, p. 113 : « Dans la tranchée boche, nous avons trouvé un blessé
allemand auprès de son chien attaché ; le blessé a été emmené alors
qu’il jetait un regard de pitié vers ce chien qui nous montrait les
dents et que nous avons été obligés d’abattre hors de la vue de son
maître. » [note : rien ne les obligeait à abattre l’animal hors de la
vue de son maître].
Au total, un récit intéressant, que chacun
pourra utiliser en fonction de ses centres d’intérêt. L’auteur n’expose
pas de position patriotique ou pacifiste. Il porte des jugements
critiques sur la conduite de la guerre. Il aime le fanion de son unité
; son moral est remonté par la musique militaire ; il apprécie que l’on
bombarde les Allemands avec leurs propres obus. Il ne dit jamais s’il
est pour ou contre la guerre. Fin décembre, en 14 et en 15, ses vœux
sont que la nouvelle année apporte la fin de la guerre ; de même
lorsqu’on parle des tanks : espoir qu’ils vont hâter la fin de la
guerre.
Rémy
Cazals
Université
de Toulouse-Le Mirail/CRID 14-18 |
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