Le livre souvre sur une constatation
simple : les Américains ont participé à la
Première Guerre mondiale, mais ils nont pas vécu
la même guerre que les Européens. Ils sont intervenus
tardivement ; leur participation a été brève ;
elle a été rapidement victorieuse. En 1918, les offensives
mettent fin à lenlisement dans les tranchées,
les tanks bouleversent la physionomie du combat, tandis que lennemi
sépuise. Dans ces conditions, la perception de la guerre
est globalement différente de celle des Européens.
Elle laisse plus de place à loptimisme. Ne se contentant
pas des sources officielles, lauteur apporte cependant de
fortes nuances.
Sommaire :
1. Compréhension de lengagement
2. Signification donnée à laction sur le front
3. Rencontre de la culture française
4. Comportements sexuels
5. Les morts à la guerre
6. Leçons pour le retour
Lenquête effectuée dans les années
1970 parmi les anciens combattants survivants doit être
prise avec beaucoup de prudence. Le sentiment général
patriotique quelle fait apparaître ne correspond peut-être
pas aux idées de 1917-18. Beaucoup de temps a passé,
dautres guerres sont venues recouvrir et modifier le souvenir.
Accepter de participer à la guerre correspondait davantage
à une volonté dintégration à
la société américaine. La propagande apportait
avec insistance son message darwinien sur la race allemande. La
pression sociale ne doit pas être négligée :
que direz-vous quand on vous demandera où vous avez été
durant tout ce temps ? Le fossé entre les combattants
et leurs épouses a été moins ouvert que dans
dautres pays. Les femmes de la Croix Rouge ont exprimé
la satisfaction de participer à une uvre importante.
Sur le front, il ne sagit pas de test de courage individuel,
mais de la capacité à survivre avec les camarades.
Quand vient le moment de sortir face au feu des mitrailleuses,
il ny a quasiment pas de choix. Refuser signifierait se
séparer des seuls êtres familiers. Il ny a
plus religion, famille, loi, tout est réduit à une
étendue boueuse dévastée. Derrière,
il y a larme de lofficier, puis la Military Police,
et toujours la perte didentité. Les Indiens, que
lon avait dabord détruits, ont été
ressuscités par la propagande en tant que symboles positifs.
On met en avant leurs qualités guerrières qui deviennent
par extension celles des combattants américains. Ce qui
nempêche pas de signaler les lettres du soldat Big
Thunder qui expriment son souhait dêtre de retour
chez lui pour travailler sa terre [thème récurrent
dans la correspondance de guerre des paysans français].
Les analyses de Mark Meigs sappuient sur le contact réel
avec les sources. Dans la documentation produite par cette guerre,
il est nécessaire de distinguer ce qui est construction
abstraite. La propagande existe, lourde, insistante. Il y a une
langue de bois et ce nest pas elle qui peut nous faire connaître
la pensée des combattants. Pour cela il est nécessaire
de trouver dautres sources. Mark Meigs utilise une importante
série de papiers personnels, principalement des lettres
car la tenue de carnets était interdite dans larmée
américaine [ce qui est bien regrettable car cest
souvent dans les carnets, plus que dans les lettres, que lon
découvre le discours caché]. Pour achever de confronter
la voix des soldats aux textes officiels désincarnés,
Mark Meigs a recours aussi aux chansons [lune delles,
reproduite p. 20, fait penser à celles des vagabonds des
chemins de fer en temps de paix : Mister Railroad Man devient
ici Mister French Railroad Man].
Américain et Français éprouvent chacun de
létonnement devant lAutre et ses comportements,
ne serait-ce que devant les manières de boire (p. 77).
Larrivée des Américains provoque une forte
hausse des prix. Les autochtones vont changer. Il faut les avoir
vus avant le contact avec les nouveaux venus, de même que
certains photographes de lOuest ont cherché à
voir lIndien avant quil perde son identité
au contact de la « civilisation ». La prostitution
augmente. Mais le taux de maladies vénériennes reste
bas dans larmée américaine. Le soldat ne recherche
pas seulement la sexualité. Il a besoin daffection,
dun home. Mais les autorités découragent le
mariage avec des Françaises.
Le chapitre 5 donne dabord un long passage sur le soldat
inconnu américain. Les pertes ont été sévères
en temps doffensive. Certains chefs ont éprouvé
de la fierté quand leurs troupes avaient subi de lourdes
pertes. Les soldats prennent alors conscience que linaction
dans les tranchées offrirait une chance de survie. Ils
souhaitent pratiquer le live and let live system. Ils ont
tendance à considérer que lennemi cest
lofficier supérieur et non le soldat den face.
Comme dans toutes les armées, se pose le problème
dannoncer à la famille la mort dun camarade :
on aura tendance à écrire quil est mort dune
balle en plein front, rapidement, avec des souffrances limitées.
Après la guerre, deux associations sopposent sur
la question du rapatriement des corps : la Bring Home the
Soldier Dead League et la Field of Honor Association. Leur nom
même résume leur intention. Au total, un peu plus
de la moitié des corps ont été rapatriés.
Les cimetières américains en France doivent faire
impression (p. 186) [ce qui a marqué le combattant languedocien
Gustave Folcher en octobre 1940, frappé par la « façade
monumentale », par « une immense pelouse »,
« les lignes de croix, toutes en marbre blanc »,
comparées pour leur symétrie à « une
vigne jeune de chez nous »].
La guerre a suscité expression artistique et littéraire.
Le contact des « civilisations » a appris
aux Américains que lAmérique est le meilleur
endroit à habiter au monde. Ils veulent mois de châteaux
et de passé, plus de futur et de mouvement [mais ils achètent
des cloîtres et les remontent de lautre côté
de lAtlantique]. Les Américains en France ont été
surpris par la présence des tas de fumier dans les villages
[mais les Languedociens ont fait des remarques analogues sur les
villages du Nord-Est].
Lintensité des armes modernes a produit un vide
mental que les services de propagande cherchent à remplir
dinterprétations abstraites et enthousiasmantes,
des abstractions créées loin de la bataille. Quelques
soldats ont réussi à échapper au conditionnement
de masse. Avec le temps, les vétérans ont accepté
les explications militaires du prix à payer en pertes humaines,
alors quils ne les auraient pas acceptées pendant
la guerre. [Jean Norton Cru avait écrit de bonnes pages
là-dessus. Le même avait compris aussi lambivalence
de la pensée ; dans ses travaux sur lopinion
française sous Vichy, Pierre Laborie parle des hommes au
penser double ; Mark Meigs dit des choses semblables dans
les conclusions de son livre. Ainsi a-t-il compris la complexité
de lhistoire, loin des affirmations péremptoires
qui peuvent séduire un moment, mais qui sont destinées
à disparaître.]
Les sources incluent les papiers personnels.
La bibliographie est principalement en langue anglaise. Elle mentionne
peu douvrages français et ignore Jean Norton Cru.
Un index pour les noms de lieux, de personnes et pour les thèmes.
Rémy Cazals